Littérature: le prix Femina décerné à la Camerounaise Léonora Miano pour "La saison de l'ombre"
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Le prix Femina 2013 a été attribué mercredi à la Camerounaise Léonora Miano pour La saison de l'ombre (Grasset), roman sur le basculement d'un monde pour une communauté africaine confrontée à la traite négrière et à la disparition d'êtres aimés.

La saison de l'ombre ambitionne de saisir l'instant d'un basculement. La composition de ce roman s'est glissée dans un interstice, entre la disparition du monde connu et l'avènement d'un univers nouveau, dont nul ne sait encore rien. On entendra dire de ce texte qu'il parle de la Traite négrière. En réalité, la référence à cette tragédie vient surtout éclairer le lecteur, en ce qui concerne la genèse de l'ouvrage dans mon esprit et les mobiles de mon écriture. Ce terme n'est jamais employé dans le texte, puisqu'il n'a pas de sens pour les protagonistes principaux. Il importe de prendre ceci en considération, dans la mesure où La saison de l'ombre épouse la vision de ses personnages : des Subsahariens vivant dans une Afrique précoloniale, et ne connaissant du monde qu'eux-mêmes et leurs voisins immédiats. Le texte prend soin d'éviter les anachronismes, pour rester au plus près d'une perception subsaharienne non encore influencée par la rencontre avec l'Europe. C'est pour cette raison que l'histoire se déroule à l'intérieur des terres, plutôt que sur la côte.

Pour la communauté Mulongo, embarquée malgré elle dans la sombre aventure qui portera plus tard le nom de Traite transatlantique, il ne s'agit que de savoir ce que sont devenus les dix jeunes gens et les deux anciens disparus après l'incendie du village. Le commerce lui-même – la traite – n'est pas au coeur de ce texte, qui s'attache plutôt à réveiller la mémoire de mondes disparus. Comment vivait-on en Afrique centrale/équatoriale avant le choc de la rencontre avec l'Europe ? Il est évident que les populations de ces contrées ne se tenaient pas au garde-à-vous, dans l'attente de la capture… Pourtant, lorsque nous évoquons cette période, c'est avec le sentiment de faire face à une sorte d'abstraction. Les gravures montrent des colonnes de captifs entravés, en marche vers la côte. Ils apparaissent comme ayant vu le jour dans cette situation. L'existence antérieure à la capture n'est pas décrite, si bien qu'elle ne semble pas avoir existé. Il peut aussi s'agir de corps allongés dans l'entrepont des navires négriers. Des corps sans visage. Des corps figés, ressemblant à de petits bâtonnets noirs. C'est à peine s'il est possible d'imaginer que les personnes ainsi représentées respiraient, pensaient, parlaient. Les représentations que nous en avons ne permettent, en aucun cas, de nous rappeler que quelqu'un, quelque part, connaissait leur nom et les chérissait.

Le texte travaille, avant tout, sur l'expérience de ceux à qui un être cher fut un jour arraché. Si la figure des Subsahariens déportés vers le Nouveau Monde apparaît sur les images comme figée, privée du moindre souffle de vie, celle de ceux auxquels ils étaient liés a tout simplement été ensevelie sous les épaisseurs d'un silence multiséculaire. Y compris sur le sol subsaharien. C'est pourtant là que vécurent et moururent les communautés, les familles, les individus, qui devaient ne jamais revoir les leurs. Ceux qui attendirent jusqu'au soir de leur vie, un retour qui n'advint jamais. Ceux qui cherchèrent sans savoir où. Ceux qui ne surent vraiment ni ce qui se passait, ni comment agir. Ceux qui furent capturés, sans être déportés en fin de compte. Ceux qui durent quitter leur sol natal, trouver une terre d'accueil, pour échapper à la capture. Ce sont ces figures effacées de la mémoire subsaharienne et mondiale que l'on rencontre dans La saison de l'ombre. Les personnages principaux du roman viennent rappeler que la majorité des Subsahariens de l'époque n'étaient ni des captifs, ni des trafiquants d'hommes. Il s'agissait de personnes simples, dépourvues du moindre pouvoir sur les événements.

La saison de l'ombre présente une population devant faire face, du jour au lendemain, à une situation imprévue et incompréhensible. D'ailleurs, les Mulongo, puisque c'est d'eux qu'il est question, ne s'expliqueront pas ce qui est arrivé. Ils ne seront que quelques-uns à approcher la vérité qui sera pleinement donnée au lecteur, par un lent mécanisme de dévoilement. Les plus fortes parmi les individualités constituant ce groupe humain sont rendues saillantes. Le lecteur s'attachera, évidemment, au destin des femmes : Eyabe, Ebeise, Ebusi… Ce sont elles, en effet, qui incarnent, de la façon la plus poignante, la nécessité d'agir pour donner un sens aux événements ou, tout simplement, le chagrin de la perte. Il serait cependant dommage de ne pas accorder la même importance aux figures masculines, elles aussi prises dans la tourmente, comme on le voit avec le Mukano, Mutimbo ou Mukudi. J'ai voulu écrire un texte sensible, qui mette au premier plan l'humanité des personnages. Leurs émotions, leurs sentiments. Toutes ces évidences qui ne nous viennent plus à l'esprit, lorsque nous regardons les peintures de corps entassés à fond de cale ou de captifs entravés.

mercredi 6 novembre 2013

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