L’héritage de Fanon
Par Fanny Stolpner

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Frantz Fanon (1925-1961) fut l’une des figures de proue de la lutte anticoloniale. Un demi-siècle après sa mort, sa pensée continue-t-elle d’inspirer les militants ? Entretien avec la philosophe Magali Bessone.

TC : Frantz Fanon a été une grande figure de la « révolution » algérienne. Comment s’est-il investi dans ce conflit, lui qui était martiniquais ?

Magali Bessonne : Après son internat de médecine, en 1953, Fanon a pris un poste disponible à Blida en Algérie, car ce qu’il avait vu de la situation des Nord-Africains à Lyon, où il avait fait ses études de psychiatre, l’avait intéressé.

Un an pus tôt, il avait écrit Peau noire, masques blancs. Il y raconte son expérience d’homme noir « aliéné », c’est-à-dire qui ne peut se regarder qu’à travers les yeux d’un autre, le Blanc dominant et colonisateur.

Son engagement de psychiatre et politique sont liés de ce point de vue-là, car il dit que l’aliénation coloniale se fait à la fois sur les esprits – c’est la folie –, et sur les corps – c’est la colonisation politique. Elle regroupe tout ce qui touche à l’économie, au travail forcé, à la dépossession de la culture.

Rétrospectivement, on peut lire son engagement auprès du FLN comme un parcours cohérent de la part de quelqu’un qui s’interroge sur le vécu d’une domination : être noir ou arabe en France, arabe algérien en Algérie française, etc.

Qu’ont puisé chez lui les penseurs des cultural studies, puis ceux des études post-coloniales, qui le considèrent comme un précurseur de leurs disciplines ?

Entre 25 et 35 ans, Fanon a passé son temps en Algérie, en Tunisie et en Afrique noire, à réaliser l’indépendance de l’Algérie. Il n’était pas du tout dans les milieux académiques. Edward Saïd, que l’on considère comme le père des cultural studies, cite Fanon dans son œuvre la plus connue, L’Orientalisme, mais en 1978.

Les chercheurs des cultural studies retiennent de lui l’idée qu’il faut refuser l’impérialisme culturel de l’homme blanc européen, ses prétentions universalisantes. Et les cultural et postcolonial studies disent justement qu’il n’y a pas une, mais des manières différentes d’avoir un rapport au bien, au juste, à la beauté, à la culture, etc.

Comment ses ouvrages ont-ils été accueillis en France à l’époque ?

Fanon a 25 ans lorsqu’il publie Peau noire, masques blancs. Il habite Lyon, loin des cercles parisiens, il est très peu connu. Le livre est tiré à très peu d’exemplaires, mais les échos sont plutôt bons. Pour Les Damnés de la terre, la réception est, pour le coup, biaisée. Publié en pleine guerre d’Algérie, il est interdit pour atteinte à la sûreté de l’État. Mais il circule sous le manteau, et il est très vite adopté en France grâce à la préface de Sartre.

C’est elle qui a attiré lecteurs et commentaires, plus même que le livre. La revue Esprit y consacre un numéro spécial, dont les trois quarts concernent la préface ! Sartre intègre la pensée de Fanon à la sienne, ce qui a orienté la lecture du livre pendant toutes les années 1960. Pour le reste, Fanon est perçu comme un révolutionnaire dangereux, un traître à la patrie.

Aux États-Unis en revanche, il est tout de suite repris, notamment par les Black Panthers.

Oui, mais le contexte n’est évidemment pas le même. Tout Fanon est traduit en américain dès 1965. Il est lu par les Black Panthers mais aussi bien au-delà, par tout le mouvement d’émancipation et de revendications des droits civiques noir américain, qui trouve dans le texte des clés pour comprendre leur situation, leur combat, et ce qu’il faut faire pour se libérer.

Pour Fanon d’ailleurs, ce sont eux, « les damnés de la Terre ». L’appropriation est immédiate. Tout en sachant que la traduction ne fut pas littérale, mais très adaptée au contexte américain ; en ce sens elle est un peu infidèle, il manque un certain nombre de choses. Il a aussi été très lu en Afrique et en Amérique du Sud.

Ses idées sont-elles toujours d’actualité ?

Certains le rejettent, car il a justement pensé la colonisation et non pas la post-colonisation, c’est-à-dire notre situation actuelle. Ce qu’il a écrit est très ancré dans le contexte des années 1950-1960 : la guerre froide, la guerre d’Algérie, le mouvement des non-alignés avec l’idée de devenir, demain, une troisième force. Cela n’empêche pas ses concepts politiques, idées et engagements d’avoir un écho aujourd’hui. Même s’il n’est pas direct.

On trouve toujours des effets d’aliénation et de dominations liées à des sociétés coloniales et postcoloniales ; la décolonisation des esprits en particulier n’est pas du tout achevée. Nous gérons encore l’héritage de la colonisation avec ce que cela comporte de racisme social, qui peut œuvrer à des niveaux individuels et collectifs.

La gestion par l’État des révoltes en Guadeloupe, en Martinique ou à Mayotte ces dernières années peut-elle être vue comme un reste de cet héritage colonial ?

La Fondation Frantz Fanon, dirigée par Mireille Fanon Mendès-France rappelle, à juste titre, que la France est toujours un pays colonial parce que, justement, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Réunion sont des colonies. Et penser que tout cela a pris fin avec la guerre d’Algérie ou les indépendances africaines n’est pas complètement vrai. Il y a toujours des différences, y compris constitutionnelles, entre un citoyen de métropole et un d’Outre-mer, qui a parfois le sentiment d’être traité comme un citoyen de seconde zone.

Entendre un ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et de l’Immigration dire que toutes les civilisations ne se valent pas, un demi-siècle après la mort de Fanon, n’est-ce pas un peu décourageant ?

Quand Fanon pense l’indépendance de l’Algérie (il n’emploie d’ailleurs jamais le terme, mais parle de « révolution »), il ne s’agit pas seulement de créer un nouvel État. L’idée est surtout de briser le rapport dominant-dominé, colon-colonisé, les rapports de races. Abolir la domination économique, politique, culturelle pour créer un homme nouveau.

Dans un texte intitulé Racisme et culture, Fanon explique qu’il n’y a pas d’individu raciste mais des sociétés racistes, et qu’une société coloniale est par définition raciste car elle a besoin d’asseoir les inégalités économiques et politiques sur un discours de justification. Celui-ci pose que certains valent plus que d’autres, et qu’il est donc normal que ceux qui valent plus aient plus. Cela peut être une histoire de couleur de peau, de culture primitive…

La remarque de Claude Guéant montre qu’on est toujours dans une société raciste, et d’une certaine manière toujours coloniale si on suit les termes de Fanon, mais ça ne veut pas dire que tout est perdu. Simplement qu’il faut continuer à se battre contre ces idées tenaces.

Du 17 février au 23 mars, partout en France, se tient la septième édition de la semaine anticoloniale. Toute la programmation sur anticolonial.net

vendredi 2 mars 2012

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