L'écrivain Jorge Semprún est mort

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L’écrivain Jorge Semprún, décédé mardi à Paris à l’âge de 87 ans. Après une «amnésie volontaire» de près de 20 ans, il décide en 1963 de rompre le silence et d’évoquer dans son livre «Le Grand Voyage» le camp de Buchenwald dont il ressortira vivant mais profondément marqué en 1945.

Le jeune homme de 22 ans qui sortit du camp de Buchenwald en 1945 se ressentait comme mort, d’une mort collective, une expérience que ses tentatives d’écriture ne faisaient que rappeler, l’attirant à nouveau vers le vide. Jorge Semprún a choisi une «amnésie volontaire» de presque vingt ans. Puis, en 1963, il a pu évoquer le trajet en train vers le camp, les odeurs, la peur, la fraternité, dans un premier livre, Le Grand Voyage (1963). Il n’a plus cessé d’écrire romans, pièces de théâtre, scénarios et essais, jusque peu avant sa mort, mardi dernier, à Paris à l’âge de 87 ans. Cet homme a vécu les grands déchirements du XXe siècle – la guerre d’Espagne, l’univers concentrationnaire, l’adhésion et la rupture avec le communisme. Sa disparition touche parce qu’il a su trouver, à travers deux langues, un langage qui exprime la violence et l’incohérence de ce temps.

Jorge Semprún est né le 10 décembre 1923 dans une famille de la bourgeoisie catholique conservatrice. Mais son père, véritable Don Quichotte selon son fils, fit allégeance au gouvernement de la République dont il devint ministre. En 1936, quand éclate la guerre civile, la famille émigre à Genève, aux Pays-Bas, à Paris enfin où le jeune homme adopte le français et entreprend des études de philosophie. En 1941, il entre dans un réseau de Résistance avec des communistes espagnols, puis des Anglais. Fait prisonnier en 1943, il est donc déporté à Buchenwald où il retrouve un noyau de victimes du franquisme. Il renoue avec ses origines, retrouve les poèmes et les chants de son enfance. Au sein du camp, il s’occupe de la vie culturelle, qui survit en dépit de tout. Il a raconté ce miracle, et ses conversations avec le sociologue Maurice Halbwachs et le sinologue Henri Maspero dans Quel Beau Dimanche (1980). Il y évoque de manière bouleversante «la fatigue de mort», la fragilité, «la prison de douleur» de celui qui revient de déportation.

A la sortie du camp, Jorge Semprún travaille comme traducteur pour l’Unesco et, surtout, s’engage dans le Parti communiste espagnol clandestin. Commence alors une vie de déplacements dangereux dans l’Espagne franquiste, sous le pseudonyme de Federico Sánchez. Il voyage aussi beaucoup à l’Est et entretient des contacts avec la Pasionaria Dolores Ibarruri en URSS. Il monte très haut dans la hiérarchie. Mais les dissensions avec Santiago Carrillo deviennent trop vives et Semprún est exclu du parti en 1964. Pourquoi être resté lui-même si fidèle, en dépit de sa critique du stalinisme? C’est, dira-t-il, que le PCE lui semblait la seule opposition efficace au régime de Franco.

Le deuil du militantisme coïncide avec le retour à l’écriture. «Un doute me vint sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose…

Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible, mais sa substance, sa densité», écrira-t-il plus tard, dans un de ses plus beaux livres, L’Ecriture ou la vie (1994). Le Grand Voyage inaugure ce travail de transposition du vécu. Jorge Semprún défendra jusqu’à la fin l’irruption de la fiction dans le témoignage. «Si les jeunes romanciers ne s’approprient pas ce passé, la mémoire va s’en éteindre. Seule la littérature peut le transmettre», disait-il en 2010 sur France Culture.

En 1969, La Deuxième Mort de Ramón Mercader lui vaut le Prix Femina. Alors qu’il est en voyage aux Pays-Bas, où il a déjà vécu dans sa jeunesse, s’opère une cristallisation qui lui permet de retrouver les sensations et les émotions de son enfance et de sa jeunesse dans la jeune République espagnole puis en exil. Il les décante dans un roman d’aventures, qui mêle l’assassin de Trotski à une figure qui porte le même nom. Plus tard, il reviendra sur son passé militant dans Autobiographie de Federico Sánchez, qu’il publie en espagnol en 1977 puis en français en 1978. En 1993, Federico Sánchez vous salue bien répondra aux propos que Santiago Carrillo tient à son égard dans des entretiens avec Régis Debray.

Entre 1988 et 1991, il subit à nouveau la tentation de la politique et répond à l’appel de Felipe Gonzales. Pendant deux ans, il sera ministre de la Culture de son pays d’origine. Mais là aussi, il ¬désapprouve les choix du gouvernement et doit démissionner. A Paris, il occupe une place importante dans le monde littéraire, membre de l’Académie Goncourt, souvent sollicité et toujours très disponible pour les causes qui l’enthousiasment. Il avait accepté de faire partie du jury du nouveau Prix international Jan Michalski, décerné l’an dernier. Mais déjà son état ne lui avait pas permis d’assister à sa remise à Lausanne.

Espagnol à Paris, Français en Espagne, Jorge Semprún n’a jamais voulu choisir ni sa nationalité ni sa langue. Il disait: «Ma patrie, c’est le langage», quelle que soit la langue dans laquelle il s’exprime. Il se revendiquait parfois «de Buchenwald», comme s’il était né et mort de cette expérience. Mais avant tout, dans les dernières décennies de sa vie, il se voulait citoyen d’Europe. En 2010, son dernier ouvrage est d’ailleurs un recueil de conférences données en Allemagne et en allemand, langue qu’il maîtrisait également: Une Tombe au creux des nuages. Essais sur l’Europe d’hier et d’aujourd’hui. Sous un titre emprunté à Celan, il s’y interroge inlassablement sur le mal, convoquant Husserl et Heidegger, Freud et Mahler; rappelant que Buchenwald est dans la banlieue du Weimar de Goethe.

jeudi 9 juin 2011

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