Des centaines de lycéennes ont à nouveau été enlevées dans le nord du Nigeria. Les attaques contre les établissements scolaires se multiplient dans le monde. L’éducation devient un enjeu majeur dans la lutte contre l’extrémisme

Dans la nuit de jeudi à vendredi, des hommes armés ont investi les dortoirs d’une école secondaire, dans le nord du Nigeria. Ils ont ensuite emmené plus de 317 adolescentes, selon un décompte de la police. Ce n’est pas la première fois que des écolières sont visées dans ce pays, le plus peuplé d’Afrique, dont le nord musulman est en proie à une instabilité grandissante. Cet enlèvement provoque l’exaspération de la population locale, qui s’en est pris à des responsables gouvernementaux arrivés sur place.

Par le passé, ces enlèvements étaient le fait de la secte terroriste Boko Haram, active dans le nord-est du pays. Mais les attaques contre les écoles ont fait tache d’huile au-delà du bastion traditionnel des islamistes. A ce stade, les autorités n’accusent pas le groupe djihadiste mais incriminent des «bandits» qui écument l’Etat de Zamfara, où est située cette école secondaire réservée aux filles.

Cette région est le théâtre régulier de kidnappings de masse contre rançon. Les pillages de villages et les vols de bétail sont aussi fréquents. Ce nouvel enlèvement de masse intervient une semaine après un événement similaire plus au sud, dans l’Etat du Niger. Des dizaines d’élèves – cette fois des garçons – ont été kidnappés. Les proches sont depuis sans nouvelles de leurs enfants.

En décembre 2020, des groupes armés avaient enlevé des centaines de garçons dans une école de l’Etat de Katsina, également dans le nord-ouest du pays. Le président nigérian, Mohammadu Buhari, était justement en visite dans sa région natale et l’affaire avait créé un tollé national, symbolisant l’impuissance de l’Etat central. Boko Haram avait affirmé avoir commandité l’enlèvement, mais les autorités avaient démenti. Les élèves avaient rapidement été libérés à la suite de négociations menées par les autorités locales. Ce vendredi, plusieurs voix dénonçaient le paiement de rançons, qui encouragent les prochains ravisseurs.

Le Nigeria reste hanté par l’enlèvement de lycéennes à Chibok, dans le nord-est du pays, par Boko Haram en 2014, qui avait suscité un émoi mondial. Sur les 276 filles enlevées, une centaine d’entre elles sont toujours portées disparues. Le chef de Boko Haram avait affirmé dans une vidéo que ses captives seraient réduites à l’esclavage, vendues ou mariées de force.

Les écoles et l’éducation sont des enjeux cruciaux dans le nord du Nigeria, une région pauvre et traditionnelle majoritairement musulmane, où la scolarisation des filles ne va pas de soi. Les écoles du gouvernement y sont en concurrence avec les établissements coraniques.

«Tendance mondiale»

La bataille de l’éducation se déroule aussi dans d’autres pays africains de la région, également déstabilisés par les violences. Au Cameroun, les séparatistes anglophones attaquent régulièrement des écoles, accusées d’endoctrinement au service du régime de Yaoundé. Les djihadistes au Mali ou au Burkina Faso empêchent aussi l’enseignement officiel dans les zones qu’ils contrôlent.

«Tout comme les hôpitaux, les écoles ne sont plus épargnées dans les conflits d’aujourd’hui. C’est une tendance mondiale, se désole Karl Blanchet, directeur du Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire de Genève (Cerah). Ces attaques minent le moral des populations et les forcent à fuir les zones de combats.»

Moins médiatisées que les assauts contre les structures de santé, ceux contre les écoles commencent à être recensés. Entre 2015 et 2019, 11 000 attaques ont eu lieu dans 93 pays, selon une coalition globale pour protéger l’éducation (GCPEA, selon son acronyme anglais)

Sous l’impulsion de la Suisse, un réseau pour favoriser l’éducation dans des pays en guerre vient d’être créé à Genève (Global Hub for Education in Emergencies). Il réunit des institutions académiques, des bailleurs de fonds et plusieurs organisations internationales, comme le Comité international de la Croix-Rouge ou le Haut-Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés. «L’éducation est souvent le parent pauvre des réponses humanitaires, par rapport à la santé ou à la distribution de nourriture», plaide Karl Blanchet, qui est membre de ce réseau.

La bataille de l’éducation

La Suisse soutient aussi des écoles au Sahel, comme plusieurs d’entre elles visitées récemment par le conseiller fédéral Ignazio Cassis accompagné par Le Temps, à Sikasso, dans le sud du pays. La région accueille des milliers de déplacés chassés par les violences au centre du Mali. Les enfants déracinés sont scolarisés dans des classes d’une trentaine d’élèves, ce qui leur permet de rattraper le programme scolaire dispensé normalement dans les salles accueillant une centaine d’enfants.

Dans le centre et le nord du Mali, la Suisse et ses partenaires composent avec les djihadistes. «Nous y sommes obligés, car ce sont les autorités de facto, justifie Giancarlo de Picciotto, le chef de la Coopération suisse au Mali. Ils ne tolèrent que les écoles coraniques mais reconnaissent la nécessité pour les enfants d’apprendre à lire et à écrire.» Pour éviter que le conflit ne se propage dans tout le pays, continue le responsable suisse, «le rôle des salles de classe est crucial. L’Etat malien peut protéger ses futurs citoyens, en les éduquant et en évitant qu’ils soient enrôlés dans les groupes armés.»

samedi 27 février 2021