Africa Unite
Par Amzat Boukari-Yabara

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Sommes-nous africains ? Qu'est-ce que l'Afrique ? De cette double interrogation, née au XVIIIe siècle dans la diaspora africaine déportée aux Amériques, a émergé un vaste mouvement intellectuel, politique et culturel qui a pris le nom de panafricanisme au tournant du XXe siècle. Ce mouvement a constitué, pour les Africains des deux rives de l'Atlantique, un espace privilégié de rencontres et de mobilisations.

De la révolution haïtienne de 1791 à l'élection du premier président noir des États-Unis en 2008 en passant par les indépendances des États africains, Amzat Boukari-Yabara retrace, dans cette ambitieuse fresque historique, l'itinéraire singulier de ces personnalités qui, à l'image de W.E.B. Du Bois, Marcus Garvey, George Padmore, C.L.R. James, Kwame Nkrumah ou Cheikh Anta Diop, ont mis leur vie au service de la libération de l'Afrique et de l'émancipation des Noirs à travers le monde. Mêlant les voix de ces acteurs de premier plan, bientôt rejoints par quantité d'artistes, d'écrivains et de musiciens, comme Bob Marley ou Miriam Makeba, la polyphonie panafricaine s'est mise à résonner aux quatre coins du « monde noir », de New York à Monrovia, de Londres à Accra, de Kingston à Addis-Abeba.

Les mots d'ordre popularisés par les militants panafricains n'ont pas tous porté les fruits espérés. Mais, à l'heure où l'Afrique est confrontée à de nouveaux défis, le panafricanisme reste un chantier d'avenir, insiste Amzat Boukari-Yabara. Tôt ou tard, les Africains briseront les frontières géographiques et mentales qui brident encore leur liberté.

1-Imaginons-nous dans une librairie ; ce livre passe difficilement inaperçu : sur la couverture, l’Afrique est représentée dans un cercle, peut-être une peau de tambour ou un disque solaire ; la gamme chromatique – noir, rouge, jaune et verte – évoque tour à tour le rastafarisme, le reggae et les drapeaux du continent. Le titre – Africa Unite ! – fait référence à l’un des morceaux phares de l’album Survival1 de Bob Marley enregistré en 1979. La pochette célébrait, dans une perspective grandiose, le martyr historique de la traite transatlantique et l’éclat des indépendances africaines : le titre Survival apparait, en effet, en surimpression d’une coupe d’un navire négrier du XVIIe, donnant à voir l’entassement d’hommes et de femmes enchainés en route vers les Amériques, la bannière se trouvant au-dessus d’une mosaïque de drapeaux des nouvelles nations africaines indépendantes. Les basses puissantes de ce classique du reggae nous reviennent en mémoire ; dans le premier couplet d’Africa Unite2, Marley chantait : « How good and how pleasant it would be / Before God and men / To see the unification of all Africans »3. Les Africains que Marley appelle à s’unir sont ceux de la diaspora (créée tant par la traite que par les migrations). Revenant au livre, nous découvrons que nous avons à faire à « Une histoire du panafricanisme » que l’auteur, l’historien Amzat Boukari-Yabara, se propose d’aborder comme « une énigme historique [dont la] date et [le] lieu diffèrent selon les critères retenus pour le définir » (p. 5). Déjà auteur d’ouvrages sur le Nigéria4 et le Mali5, Boukari-Yabara travaille à renouveler le regard sur le continent africain. La traversée proposée dans Africa Unite ! s’annonce stimulante et mouvementée ; elle emprunte les voies de la traite transatlantique puis explore la violence des colonisations et les utopies grandioses des décolonisations.

6 Lara Oruno D., La naissance du Panafricanisme. Les racines caraïbes, américaines et africaines du m (...)
7 Ndiaye Pap, La condition noire : essai sur une minorité française, Paris, Calmann Levy, 2008. On pe (...)
8 Bouamama Said, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, Paris, Zones, 2014. Lire (...)
9 Mbembe Achille, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2013. (...)

2-La nouveauté de l’approche de Boukari-Yabara réside dans le fait de prendre cette « énigme historique » comme point de départ où le panafricanisme tient à la fois de « concept philosophique » et de « mouvement sociopolitique » dont les actes de naissance respectifs seraient les « mouvements émancipateurs et abolitionnistes de la seconde moitié du XVIIIe » et une confluence de discours politiques anticoloniaux développés depuis l’Afrique, les Amériques et les Antilles « entre la fin du XIXe et la fin de la Seconde Guerre Mondiale » (p. 5). La lecture d’ Africa Unite ! suggère que le panafricanisme est tout cela à la fois ; ce qu’Amzat Boukari-Yabara s’attache à montrer ici est un puissant mouvement en rhizome impossible à circonscrire tant historiquement que conceptuellement. On peut dire que ce livre vient combler une lacune de l’historiographie française en rappelant les contributions intellectuelles de personnalités francophones à une réalité qui a déjà été largement explorée dans les départements d’African Studies nord-américains. D’un autre point de vue, Africa Unite ! se situe dans le sillage de travaux pionniers en français : ceux des historiens Oruno D. Lara6 et Pap Ndiaye7, du sociologue Said Bouamama8 et, plus récemment, d’Achille Mbembe avec sa Critique de la raison nègre9.

10 L’intégralité du discours peut être lue sur : http://www.afrik.com/article12199.html. Ce discours a (...)

3-L’approche de Boukari-Yabara est frondeuse et incisive : « pas d’histoire africaine sans histoire européenne pensait-on encore en 1960. Mais il faut aujourd’hui se rendre à l’évidence : entre Amériques, Europe et Afrique, il n’y a pas d’histoire universelle sans histoire du panafricanisme » (p. 6). On peut également trouver une dimension politique à ce travail en considérant qu’il se situe dans l’onde de choc provoquée en 2007 par le discours de Dakar dans lequel Nicolas Sarkozy, alors président, affirmait avec arrogance et sérénité que « l’homme africain n’était pas assez rentré dans l’histoire »10. Aussi, le récit historique que recompose Boukari-Yabara est-il plein de ferveur, travaillé par l’énergie du blues, du funk, du reggae et de l’afrobeat. Il permet de suivre des trajectoires individuelles et collectives, l’auteur insistant sur le fait que le panafricanisme est, avant tout, une « circulation des hommes, [une] circulation des idées [et une] une circulation des luttes » (p. 245). Trois grands chapitres structurent Africa Unite !, dont les titres reprennent les slogans qui ont scandé l’histoire du panafricanisme, donnant à voir son évolution et sa complexification du XIXe à nos jours.

4-Dans ce premier chapitre, Boukari-Yabara décrit les détails d’une prise de conscience historique et transcontinentale face à la colonisation et à la traite. À partir de la fin du XVIIIe siècle, il devient évident à des groupes d’hommes que venir d’Afrique les prédestine à des rôles particuliers dans le monde : ceux d’esclave et de colonisé. Rôles qui ont précisément été créés par une Europe alors en pleine expansion coloniale dont il faut se sortir. Le chapitre couvre les débuts de l’abolitionnisme en Europe et dans les Amériques jusqu’aux mouvements pour le retour en Afrique du début des années 1930. L’historien fait se croiser les figures de Toussaint Louverture, Anténor Firmin, W.E.B. Dubois, Alioune Diop ou encore Marcus Garvey ; le panafricanisme apparait comme une accumulation de questionnements et de mises en tension. La force du travail de Boukari-Yabara vient précisément du fait qu’il s’attache à dévoiler le panafricanisme en termes de flux de discours, de rencontres, d’alliances et de conflits. En bref, il ne cherche pas à en faire un objet monolithique, mais bien un magma d’idées et d’initiatives à la fois politiques, philosophiques et esthétiques. Le panafricanisme apparait donc à la fois comme une lente maturation et comme l’épopée d’une vaste prise de conscience qui débute dans les Amériques après les abolitions. La prise de conscience d’avoir été enlevé à une terre précède directement celle du retour en Afrique. La question, nous montre Boukari-Yabara, gagne en intensité après l’indépendance du Libéria en 1847. Acquises en 1822 par The American Colonization Society– société philanthropique prônant le retour en Afrique – les terres du Libéria devaient permettre le retour d’esclaves affranchis sur leur continent d’origine. Le paradoxe était que ce retour en Afrique était fondé sur la doctrine coloniale, doctrine contre laquelle se sont élevées les mouvances panafricanistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Les initiatives se multiplient, mais le retour n’a rien d’une délivrance idyllique ; il s’apparente plutôt d’une série de mises en tension que l’auteur expose sans donner dans le romantisme.

5-Les chapitres consacrés à la négritude de Senghor et Césaire, puis à Frantz Fanon, sont peut-être les contributions historiographiques les plus précieuses. Boukari-Yabara rappelle en effet que le mouvement de la négritude « a fondé la contestation de la domination blanche et occidentale, et il a apporté à l’intelligentsia noire une nouvelle conscience de son rôle dans l’histoire » (p. 98). Ainsi, ce mouvement autant loué que critiqué, a joué le rôle de machine critique, il a créé une vigilance nouvelle face aux discours de domination. La profusion de publication (revues, poèmes, essais, etc.) rappelle que l’impact de la négritude est d’avoir efficacement et durablement investi le terrain intellectuel à partir des années 1930, posant ainsi les bases de projets politiques pour les indépendances africaines et d’un progrès social en Guyane, Martinique, Guadeloupe et à la Réunion.

6-Le troisième chapitre de l’ouvrage est hautement politique et musical. Boukari-Yabara décrit notamment l’influence de compositeurs qui, de la Caraïbe à l’Afrique, ont chanté le panafricanisme et enrichi l’esthétique musicale de nouveaux genres comme le reggae et l’afrobeat. « Le reggae est probablement la musique qui a le plus diffusé la pensée panafricaine », observe l’auteur (p. 243). Le statut d’icône mondiale de Bob Marley lui donne raison. Sur le continent africain, des artistes comme le Nigérian Fela Kuti et la Sud-Africaine Miriam Makeba ont également participé à cette diffusion. Le premier, créateur de l’afrobeat, multiplie les attaques contre les gouvernements corrompus au point de faire l’objet de menaces et d’intimidations tout le long de sa carrière. Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, Miriam Makeba, en prenant la parole à la tribune de l’ONU en 1963, devient l’une des voix les plus respectées du panafricanisme. Sa dénonciation de la violence de l’apartheid et son appel à faire pression sur le régime lui valent le soutien de la plupart des leaders nationalistes africains. La description de la trajectoire de Thomas Sankara est un bel exemple d’une historiographie engagée et critique. Rappelant « [la] fougue et [la] lucidité étonnante » du révolutionnaire (p. 252), l’écriture de Boukari-Yabara se fait plus ardente et dénonciatrice. La traversée s’achève sur une description critique des forces en présence et pose des questions cruciales comme celle de la « recolonisation » de l’Afrique par la voie de l’ingérence occidentale dans les conflits internes et par les enjeux de contrôle sur les ressources naturelles.

7-Africa Unite ! est donc une fresque impressionnante, ambitieuse et lucide qui marque un nouveau seuil dans l’historiographie française. Il met en évidence autant les singularités que les points de convergence d’initiatives politiques, esthétiques et philosophiques générées par la résistance à la traite, à la colonisation et au racisme. Mais en dévoilant la constellation de textes qui ont fait et font encore le panafricanisme (Africa Unite ! peut être considéré comme un texte panafricain), Boukari-Yabara montre également que l’humanité s’est trouvée armée d’utopies et de vigilances face aux injustices qui tissent encore notre époque.

jeudi 11 décembre 2014

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