AU MILIEU, COULAIT UN SONGE.

La rédaction d’un livre ne doit rien au hasard. Elle a sa genèse bien avant que les mots ne viennent au papier. Si vous l’interrogez sur son goût des livres, Théodora Penda reviendra sans doute à la bibliothèque de son père. Il y a toujours eu l’écrit dans un coin de son paysage. A 10 ans, celle qui rêvait de devenir journaliste et collait l’oreille à la radio, s’enivrait des facéties d’un Frédéric Dard et de l’ironie flaubertienne.

C’était une mangeuse de mots que cette enfant, une carnassière du papier. Et en arrière-plan, dans cette Afrique qui la voit grandir, grandes savanes, forêts cerclées de brumes, volcans penchés sur l’éternité. Sanaga, Chari, Waza, Fako, moitié dieux, moitiés paysages, reflets dans des yeux d’or. Les pièces sont en place, il faut leur trouver une partition.

Pourtant, le chemin de l’écriture semble long à se dessiner pour Théodora Penda. Sa carrière commerciale, au sein d’une multinationale pétrolière, aurait pu l’en détourner. Ce ne sera pas le cas. A 38 ans, lui vient l’envie de retrouver les études, au moment où elle assume de nouvelles responsabilités professionnelles ainsi que la rédaction du bulletin interne de l’entreprise. Par ce biais certainement, retrouver les bonheurs de l’écriture. Une page se tourne. Et la venue au monde de Roumia, son unique fille, deux ans plus tard, ne fera qu’accélérer les particules. Tant pis si elle n’aboutit pas son master en management, entrepris en 2002. Théodora pressent d’autres perspectives. Voiles hautes et cap au large, elle quitte alors le Cameroun et vient aux rivages de l’Europe.

L’Italie ne ressemble en rien à ses forêts d’enfance, mais elle ouvre aussi de toutes autres possibilités. Sa formation à l’écriture créative à l’Université catholique Sacré-Cœur de Milan en 2011 est un succès. Un éditeur la remarque et lui commande un premier roman, qui restera inachevé. Puis, la même année, elle participe à la réalisation collective d’un recueil de nouvelles édité par La Vita Felice. Les mots, mais surtout cette volonté de les partager. C’est pour cette raison qu’elle initie la conduite d’un atelier d’écriture pour des adultes, malades mentaux, dans un centre social de Pozzo d’Adda où elle travaille de manière bénévole. Le projet, à la fois littéraire et thérapeutique, mené sur plusieurs mois, est une révélation. Autour de l’idée du rêve, ces pensionnaires redeviennent autonomes, acteurs de leur projet. De l’écriture et de la liberté apprises.

Les années sont passées. La fiction a désormais pris une place plus importante, dans cette conviction que le livre échappe à toute forme de claustration. Quand elle arrive à Nice en 2012, l’auteure savait-elle que l’Afrique l’avait suivie, dans un pli de pagne ? Qu’elle y avait caché ses lumineux fétiches ? Et cette fois, ce sera une professeure du primaire, Christelle Nannini, enseignante de sa fille, qui ouvrira le chapitre, en lui donnant la possibilité d’intervenir dans le cadre d'un enseignement réservé aux cultures du monde. Pendant deux années scolaires, CE2 et CM1 de Thérèse Roméo 1, école niçoise, vont vivre un étonnant voyage. Sur base des contes que Théodora leur propose, les élèves produiront un grand nombre de dessins, avec pour aboutissement la publication en 2013, du livre numérique « les incroyables voyages de P’a Koulè », par les Editions du Magicien.

Le livre que vous tenez entre vos mains en est la deuxième version. Il accoste ces temps et ces terres lointaines. Vous y découvrirez le fleuve premier, que la forêt protège et que les singes racontent. Cette présente édition est revenue au support papier, en plus du numérique. De même la formulation s’adresse à un public large. Quant à l’éditrice, pour confirmer la pertinence du texte, elle n’est autre que la fille du monumental narrateur du peuple Sawa, Pierre Célestin Tiki Koulè.

La voix de ce diseur-virtuose, aujourd’hui disparue, nous livre les dix contes de l’ouvrage, comme dans le temps où nous l’entendions dire, avec tant de génie, l'histoire de « Jeki la njambe inono », poésie héroïque, récit fondateur qui jamais ne s’achève. Vous croiserez Yacobina, le serpent qui a perdu sa clef et Woudou, la tortue essoufflée, à moins que vos pas ne retrouvent ceux de Soudi, le lion, amoureux d’une biche... La forêt, dans toute sa richesse, de lumière et de mémoire.

Amoureuse de mots et de pédagogie, ce que l'écrivaine aime par-dessus tout c'est de partager sa passion de la langue française. L'atelier de lecture/écriture qu'elle a créé et animé pendant trois ans à l'école élémentaire Thérèse Roméo 1, a remporté le prix départemental des Palmes Académiques "défense et illustration de la langue française" et occupé des rangs honorables sur deux éditions, au concours départemental "les petits champions de lecture". Aujourd'hui encore, Théodora continue d'alphabétiser les enfants en difficulté d'apprentissage. C’est un quotidien dont elle ne saurait se priver, aussi astreignant soit-il. Les enfants sont ses complices autant que le moteur de son inspiration.

Un autre recueil de contes est déjà en chantier et cette fois, les animaux auront leur parole libre. Les humains ne la leur confisqueront plus. Mais l’auteure songe aussi à des nouvelles contemporaines, qui auraient la rythmique du conte et s’inscriraient dans notre époque. Chantiers d’écriture, biographie en devenir.

Roger Calmé
Journaliste Freelance

lundi 15 mars 2021