«On n’a pas donné la parole aux femmes africaines, elles l’ont prise»
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Quelle place pour les auteures africaines dans la littérature d'aujourd'hui? Les auteures Véronique Tadjo et Bessora, invitées dans le cadre de l'exposition «Africana» à la Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne, évoquent leurs parcours et les défis qui subsistent.

C'est un fonds inestimable: quelque 3500 titres d’auteures africaines francophones, réunis tout au long de sa vie par Jean-Marie Volet, chercheur suisse expatrié à l'Université de Western Australia et grand passionné de l'Afrique. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL), à qui il a légué ces trésors, leur consacre une exposition jusqu'au 22 novembre.

«À l’heure où les questions de parité et de représentation féminines occupent le devant de la scène sociale et politique, à l’heure où les stéréotypes de genre sont dénoncés au niveau planétaire, il semble nécessaire de mettre en évidence des figures de femmes, et des formes de pouvoir à l’œuvre dans la littérature mettant en scène l’Afrique et ses diasporas féminines», disent les professeures Christine Le Quellec Cottier et Valérie Cossy, organisatrices de l'exposition.

A cette occasion, les auteures Véronique Tadjo et Bessora étaient invitées à rencontrer le public et des élèves des gymnases. Toutes deux ont grandi dans une double culture. Véronique Tadjo est née à Paris en 1955, d’une mère française et d’un père ivoirien, mais a passé son enfance en Côte d’Ivoire. Si elle réside aujourd’hui en Angleterre, elle a enseigné pendant quatorze ans à l’Université Witwatersrand de Johannesburg et voyagé dans le monde entier. Peintre, poète, romancière, elle retourne régulièrement dans le pays de son enfance. L’Ombre d’Imana, qu'elle publie en 2000, évoque la tragédie du Rwanda, et Reine Pokou, issu d’un mythe baoulé, a été adapté en opéra à Genève. Son dernier livre, En compagnie des hommes, traite de l’épidémie d’Ebola.

Bessora, quant à elle, est née à Bruxelles en 1968 d’un père gabonais et d’une mère suisse. Elle a grandi au Gabon et dans plusieurs pays d’Europe, suivant la carrière de son père, économiste et homme politique. Bessora s’est fait connaître en 1999 avec 53 cm., un roman qui décrit dans une perspective anthropologique et comique, le racisme institutionnel que rencontre une jeune femme métisse dans sa quête d’une pièce d’identité. Roman graphique, Alpha retrace le parcours d’un homme qui tente de rejoindre sa famille, entre Abidjan et Paris.

Ensemble, elles évoquent, dans un hôtel lausannois, la place des femmes dans la littérature africaine, les barrières qui subsistent et l'espoir qui naît.

Le Temps: Le fonds Jean-Marie Volet montre l’émergence de nombreuses auteures africaines dans les années 1980. Que se passe-t-il alors?

Véronique Tadjo: 1980, c’est une génération après la décolonisation. Ça signifie que de plus en plus de filles fréquentent l’école et accèdent à l’écriture. En 1979 paraît Une si longue lettre de la Sénégalaise Mariama Bâ, qui remet en question la société patriarcale. Un livre qui exerce une influence énorme en Afrique et donne l’élan à celles qui n’osaient pas prendre la parole.

Bessora: Dans mon école, au Gabon, les salles portaient les noms d’auteurs africains, et on lisait Mariama Bâ. Pour nous, écolières africaines, c’était normal. Vu d’Europe, la perception est différente, le grand public découvre qu’il y a eu la colonisation, qu’il y a eu des hommes et des femmes qui écrivaient, il y a encore du travail à faire…

Avez-vous ressenti des difficultés à vous faire connaître?

B: J’ai eu la chance de grandir dans un milieu favorable: la rigueur protestante, le travail. Il n’y avait rien d’extraordinaire à prendre la parole. Plutôt, on fait face à une assignation de contenu: un auteur africain doit parler d’Afrique, il ne faut pas se mêler de ce qui ne vous concerne pas. On vous le fait sentir dans le milieu littéraire européen. Tous les sujets ont été traités, ce qui compte, c’est la manière de les aborder: toi, Véronique, dans Loin de mon père, tu dis quelque chose de la transmission, du conflit entre traduction et modernité, qui s’écarte d’une vision manichéenne, des attentes du public.

V. T.: Il faut bien voir qu’on n’a pas donné la parole aux femmes, elles l’ont prise. Ce que les femmes peuvent apporter, c’est une autre manière de dire, une singularité, un point de vue. Il faut le courage de trouver sa liberté au-delà des étiquettes, des catégorisations étanches. On attend aussi trop souvent des femmes un discours de victimes. Il y a aussi la question de la légitimité: a-t-on le droit de traiter certains sujets? Par exemple, quand Maryse Condé, qui est guadeloupéenne, a publié l’épopée de Ségou, situé au Mali actuel, certains ont mis en cause son droit à traiter un sujet africain. Comme si la capacité d’empathie était déterminée par l’origine.

Comment ressentez-vous les manifestations Black Lives Matter?

B.: Depuis toujours, les assignations identitaires sont discriminatoires. Les catégories de couleur ne sont pas étanches, par exemple au Cap, je me suis fait insulter par un métis, un coloured comme moi, parce que je me promenais avec une amie noire! Ça enferme les gens dans des rôles, celui de victimes pour les Noirs, de tortionnaires pour les Blancs, etc. C’est dangereux. On a pu croire un moment, avec Mandela, avec Obama, avec la victoire de la France en Coupe du monde de football, qu’on vivait dans un monde merveilleux. Mais il y a toujours un racisme institutionnel qui va de pair avec un sentiment de culpabilité diffus qui ne sert à rien: les gens ne peuvent rien à l’esclavage et au colonialisme. Mais tant qu’on n’aura pas fait face officiellement, dans l’enseignement aussi, sans s’accuser, aux conséquences de cette période, ce sentiment persistera. Ce qui est intéressant, avec le mouvement actuel, c’est qu’il mobilise des gens qui ont eux-mêmes subi des discriminations – de classe, de sexe ou économiques – et qui ressentent de l’empathie pour les victimes.

V. T.: Il y a un racisme systémique invisible qui s’exprime sans cesse dans la société, il faut être noir pour le mesurer. Aux États-Unis, il y a une conscience de race qui fait partie de l’expérience humaine. Ce qui est intéressant avec Black Lives Matter, c’est que le mouvement se propage. Ce n’est peut-être pas par hasard que les manifestations continuent pendant la pandémie: elle frappe tout le monde, partout, sans distinction, mais elle rend visible les inégalités et suscite une empathie. Ce n’est pas comme lors de l’épidémie d’Ebola: nous, Africains, sentions le poids d’une culpabilité terrible. Maintenant, nous comprenons que nous sommes vraiment tous sur une même planète et que nous devons changer notre rapport avec elle et avec ses habitants. La jeunesse s’en rend bien compte, et c’est un espoir.

dimanche 18 octobre 2020

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